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Salariés "on the Bench", salariés sans mission...

Dernière mise à jour : 15 févr. 2021

Dans les couloirs des entreprises du consulting et de l’IT, il est de plus en plus fréquent d'entendre les salariés utiliser l’expression “to be on the Bench”, traduction française littérale « d’être sur le banc ». Cette expression quasi-métaphorique est utilisée pour qualifier un employé qui ne travaille sur aucun projet et qui attend d’être positionné sur de nouvelles missions (Healthcare IS, 21 juillet 2015 ; Urban Dictionnary, no data).


La forte utilisation de cette expression interroge sur les réalités du phénomène. En effet, elle illustre les conséquences de la précarisation du monde du travail (Artus & Virard, 2018). La contractualisation et les conditions de travail ont évolué: le travail n'est plus gage de stabilité, il est flexible. Cette flexibilité du travail est l'un des moyens d'adaptation d'une entreprise aux exigences de l'environnement.


Quelques points sur la notion de "flexibilité du travail", pour comprendre la problématique du "Bench"...


Pour mieux comprendre la notion de la "flexibilité du travail", prenons un exemple: l'entreprise A déploie un produit P.

P est un investissement central de la stratégie commerciale de l'entreprise A. Celle-ci espère atteindre les objectifs de recettes. En milieu d'année, les principaux concurrents de l'entreprise A déploient également un produit similaire au produit P. Ainsi, le stock du produit P ne s'épuise pas facilement : certains clients estiment que le prix du produit P est trop élevé. Face à ces "perturbations" de l'environnement, l'entreprise A doit réagir rapidement et efficacement pour adapter son offre. Pour ce faire, elle peut décider de recourir à des "pratiques de travail flexible".


Admettons que l'entreprise A continue à investir sur son produit P. Elle considérerait prioritaire l'amélioration et le développement de P. Ainsi, elle pourrait estimer avoir besoin de profils ingénieurs et/ou de marketing.


Pour pallier ce besoin, l'entreprise A pourrait procéder à différentes approches de flexibilité du travail :

  • Elle peut choisir de faire appel à des ingénieurs en externe (e.g. CDD, contrats intérimaires) ou à des entreprises spécialisées (sous-traitantes).

  • Elle peut également choisir de faire varier le temps de travail de certains salariés ingénieurs, sur cette nouvelle mission.

  • Elle peut enfin susciter chez le salarié le désir de changer de poste et/ou "d'ajouter des nouvelles missions" à son poste, sans coût financier supplémentaire.

Cette illustration expose une nouvelle manière de considérer l'emploi et le travail en entreprise, par le postulat de la flexibilité. Rattrapée par une logique de performance économique, l'entreprise aspire à répondre aux exigences de son environnement, par le contrôle et la réduction de ses coûts. Ainsi, comme le démontre l'exemple ci-dessus, la flexibilité transforme l'emploi, dans l'entreprise, sous deux formes:

  1. L'emploi précaire et ponctuel : l'entreprise sollicite temporairement des services et prestations externes liés au cours de son activité (recours aux CDD, contrats intérimaires). Les coûts salariaux sont ainsi réduits sur le long terme. Ce type d'emploi aspire à la "marchandisation du travailleur" par la "mise en vente" de ses compétences professionnelles.

  2. L'emploi "hybride" et multiple : l'entreprise développe l'emploi de ses collaborateurs en interne, par le déploiement de nouveau rythme de travail et/ou par l'incitation à l'addition de missions et de responsabilités. Ce type d'emploi aspire à la formation de "travailleurs adaptables et polyvalents".

La transformation de l'emploi, en entreprise, impacte, donc, la place du travailleur. Celui-ci voit son parcours professionnel soumis à l'instabilité des environnements. Le CDI se raréfie, et même acquis, il ne garantit pas au salarié des missions permanentes ; les contrats précaires se multiplient pour répondre à la demande ponctuelle des clients et des entreprises. Ce nouveau jeu de contractualisation pousse le collaborateur à penser son emploi, comme un "projet". Le travailleur se voit responsabilisé à la "survie de ses missions".


Ainsi, la flexibilité du travail, véritable réponse aux environnements changeants, semble interroger deux fondamentaux des organisations : la constitution d'un collectif et la dénomination des rôles de chaque travailleur. Quel cadre commun proposer à des collaborateurs, de moins en moins présents durablement, en entreprise? Quelle place conférer au travailleur, de plus en plus autonome sur le développement de ses missions?


Les métiers du conseil sont souvent touchés par les approches de flexibilité du travail. Le consultant intervient "chez le client" sur une période temporaire et sur une mission précise. Il revient, alors, au consultant d'être capable de faire savoir ses compétences, pour être sélectionné par le client. Seulement, le consultant doit être aussi de plus en plus capable "d'élargir son champ d'action", c'est-à-dire de travailler officieusement sur d'autres missions. Pourquoi ? Cette tendance semble répondre à la peur représentée par les périodes en inter-contrats, dites "le Bench".


"Des missions à tout prix, plutôt que de finir sur le Bench!"

Pour les entreprises, les périodes de "Bench" deviennent des facteurs de risque:

  • économique: le coût d’un salarié qui ne travaille pas, la perte d’un contrat client,

  • financier: la baisse de chiffre d’affaires,

  • social: la baisse de la motivation du salarié, le risque de perte de compétences du salarié,

  • d’image: la baisse de la satisfaction client…

La considération et la maîtrise des risques de la gestion des collaborateurs, en période d'inter-contrat répondent à un enjeu stratégique de gestion pour les entreprises, notamment pour celles du conseil et de l’IT.

La non-gestion des collaborateurs en période d'inter-contrats est un risque, devenant à court ou long terme des problématiques RH: avons-nous fait les bons recrutements ? Avons-nous les bons profils ? Les compétences de nos collaborateurs sont-elles à jour ? Correspondent-elles aux attentes du client ? Comment maintenir la motivation du salarié ?...


Cet article propose une réflexion sur les risques à la non-gestion des collaborateurs en période de "Bench". Cette analyse s'est construite par la réalisation de 14 entretiens dont, 4 professionnels des Ressources Humaines et 10 collaborateurs, dans deux entreprises de conseil.


Une responsabilité assignée aux Ressources Humaines

L'analyse des entretiens a montré que les 10 collaborateurs portaient la problématique du Bench à un enjeu des Ressources Humaines. Certains considèrent même que le risque du Bench a pour cause une mauvaise gestion des RH, notamment sur le plan du recrutement et de la formation.


Par exemple, un consultant explique que, dans son entreprise, les RH ont recruté trop de profils consultants Junior par rapport à des profils plus expérimentés. Il argumente que la fonction RH n'a pas su cibler les bonnes candidatures aux managers. Pire encore, il considère que la fonction RH aurait dû veiller à ce que les managers aient signé suffisamment de contrats clients.


Les professionnels RH expliquent que ce point n'est pas automatiquement du ressort des Ressources Humaines. Ils précisent que les managers doivent être suffisamment responsables dans la définition de leurs besoins. Aussi, deux d'entre eux considèrent que la veille sur les contrats clients revient au rôle du "Ressources Manager". Il est à noter que ce rôle n'existe pas toujours en entreprise, selon sa taille et son activité.


Alors, à qui incombe la gestion des collaborateurs en période d'inter-contrats ? Aux managers opérationnels? Aux "Ressources managers"? Aux professionnels des RH?

S'il est complexe d'assigner directement ce rôle à un acteur, les résultats de cette analyse exposent les risques actuels engendrés, par une non-gestion des collaborateurs en période de Bench.


Tout d'abord, la période de Bench est source de nouvelle souffrance au travail, pour le collaborateur. Enfin, la période de Bench génère une perte des compétences, au sein de l'entreprise. Ces deux conséquences de la non-gestion des collaborateurs en période de Bench impliquent, donc, des risques RH.


Nouvelle souffrance au travail

La dévalorisation du travail et la perte de sens

La première caractéristique de la période du "Bench", pour un collaborateur, est le fait de ne pas avoir de mission. De ce fait, le travailleur "sans travail" perd logiquement le sens de sa fonction, au sein de son entreprise: à quoi sert-il? quelle est sa place? Ce manque d'utilité perçue génère, pour l'individu, une dévalorisation. Ces deux points déstabilisent le collaborateur, et vont remettre en question jusqu'à son identité !


La dévalorisation du travail peut se comprendre par trois caractéristiques:

  1. l'existence ou non de la mission

  2. l'intérêt de la mission pour le collaborateur

  3. la reconnaissance de la mission du collaborateur, par le regard des autres

Un travailleur a besoin de mettre en œuvre sa fonction, pour prendre conscience de celle-ci. C'est-à-dire que le travailleur sans mission ne sera pas en capacité de se positionner au sein de son équipe, et par conséquent de l'entreprise. Le risque d'un "salarié sans mission" va au-delà de l'ennui au travail, que ce dernier pourrait ressentir.


Cette situation est une atteinte à l'ego et suscite, ainsi, des sentiments de frustration et d'humiliation. Ce principe vaut tout autant lorsque le collaborateur a des "missions inintéressantes". Cet inintérêt peut se traduire par:

  • une inadéquation des missions réelles, par rapport à celles prévues sur le contrat de travail,

  • une inadéquation des missions réelles, par rapport au profil du collaborateur (e.g. compétences),

  • le manque de responsabilités confiées, au travers des missions

  • le peu de "valeur ajoutée" que génère la réalisation des missions - que cela soit pour le collaborateur ou pour l'utilisateur final.

Ces phénomènes sont illustrés dans la littérature, sous la notion d’épuisement professionnel, précisément par ceux du « bore out » et du « brown out » (Peretti, 2018). Le premier caractérise un épuisement professionnel par l'ennui (to bore en anglais signifie "s'ennuyer"). Le second caractérise un épuisement professionnel, par le manque de sens du travail confié, pour le collaborateur.


Cette étude démontre que les collaborateurs en période d'inter-contrats sont les plus touchés, par ces phénomènes d'épuisement professionnel. Ces collaborateurs sont souvent en attente de missions et se retrouvent contraints d'effectuer des "missions futiles". Ceci non pas pour "faire passer le temps", mais par la nécessité de "produire".


Un consultant raconte :

« Au début, être payé à faire ce que tu veux, ça sonne bien, tu te dis « hop, je peux faire mes trucs perso »…Mais quand ça fait 6 mois que tu es comme ça, tu cours après tout, même les tâches pourries, même faire des power points, t’essaie de t’accrocher aux projets des autres, à t’incruster…parce que sinon, qu’est-ce que tu racontes à ta famille, à tes amis ? Que tu fais rien ? Non…».


Ce besoin d'utilité fait écho à l'identification de l'individu à son travail. L’article de Hosy et Bourion « Du burn-out au bore-out : vers l’emploi qui rend heureux », expose d'ailleurs ce point : le salarié s’identifie par les compétences de son activité professionnelle (2017). Autrement dit, la quête de sens au travail est un moyen de construire l'ego d'un collaborateur. Ainsi, le collaborateur en période de Bench se retrouve plus touché par des déséquilibres émotionnels et psychiques.


La perte du "travail réalisé" atteint directement sa "raison d'être", au sein de la société. Un professionnel RH explique que l'état des collaborateurs en période d’intercontrats ne devrait pas être négligé par le management et, encore moins, par les RH. Il précise que les cas peuvent très vite dégénérer : il reviendra aux professionnels RH de gérer, par la suite, ces situations de crise.


Cette étude met également en avant que la période de Bench décuple la souffrance du collaborateur, par rapport à l'image que l'autre porte sur sa situation. Autrement dit, le collaborateur sur le Bench est catégorisé par l'inexistence de son travail ou l'inintérêt des missions confiées. Cette "étiquette" du Bench dégrade, donc, le statut du salarié aux yeux de ses pairs, mais aussi, de ses supérieurs, voire de ses clients, de sa famille…


C'est d'ailleurs l'idée évoquée par le consultant, dans sa citation, plus haut. La situation du Bench devient lourde pour lui, à partir du moment, où il doit raconter à ses proches "ce qu'il fait de sa journée": " […] parce que sinon, qu’est-ce que tu racontes à ta famille, à tes amis ? Que tu fais rien ? Non…".


Pour pouvoir "continuer à exister en entreprise", le collaborateur en période d'inter-contrats se retrouve contraint de demander des missions, et ce, à n'importe quel collaborateur. Cette posture est donc très négativement perçue. Cette situation développe, chez le collaborateur, un complexe d'infériorité vis-à-vis d'autrui. Il a besoin de solliciter les autres et, donc, d'afficher publiquement sa situation de "quête de missions" à tous les collaborateurs.


Ce statut de "demandeur d'emploi" au sein de l'entreprise perturbe considérablement la relation du salarié à son travail, mais également la relation du salarié aux autres.

Déjà, le collaborateur sur le Bench doit partir en "quête de missions". Cela veut dire qu'il se retrouve soumis à l'action de "quémander" du travail. Comme le démontre les écrits de Martin (1983) et ceux d’Iribarne (2001), quémander du travail, c'est ce qu'il y a de plus humiliant pour un collaborateur. L'action de quémander signifie de "solliciter avec insistance", voire de "mendier".


Le travailleur sur le Bench peut, donc, se sentir en position de faiblesse, voire de misère. Par conséquent, la déclaration de ce "nouveau statut" aux yeux d'autrui, dévalorise totalement le salarié sur le Bench : sa place et son activité, au sein de l'entreprise, tiennent à la pitié des autres collaborateurs, à son égard. Autrement dit, peu importe ce que autres collaborateurs lui confieront, le salarié sur le Bench se sentira toujours illégitime, dans la réalisation de ces missions.


Ainsi, la période du Bench est portée comme un fardeau. L'analyse de cette étude montre une propension du salarié à éviter "à tout prix" d'être en période d'inter-contrats. L'appréhension de se retrouver étiqueté "Bench" met en évidence l'instabilité de l'unité du collectif d'entreprise et la conflictualité des relations humaines.


La destruction du collectif

Comme expliqué ci-dessus, l'image du salarié sur le Bench est très péjorativement perçue, à la fois par le salarié vivant cette situation, mais aussi par les autres collaborateurs. En effet, ces derniers peuvent voir la sollicitation d’un « bencheur », comme une réelle menace. Certains craignent qu'on leur vole leurs missions, voire même de finir par "être touché par le Bench", comme s'il s'agissait d'une malédiction.


Ainsi, l’entraide entre collègues n’est pas une action naturelle. Il semblerait même que certaines cultures d’entreprise entretiennent plutôt la compétition à la collaboration. Un consultant raconte comment le taux d’utilisation (le « TU ») est devenu un moyen de pression de son quotidien :

« ce qu’il compte, c’est ton TU, ce qui montre ton implication sur un projet client, par ta disponibilité…en gros, à combien de temps es-tu engagé sur telle mission ? et donc, combien tu rapportes à ton entreprise ? Alors, Bench ou pas Bench d’ailleurs, quand t’as un problème sur une mission, c’est rare que t’ailles demander à d’autres collègues qui ne sont pas sur l’projet. Parce que sinon, ils peuvent s’inscrire sur ta mission et, tu te retrouves à partager, parfois, le peu de travail que tu pouvais avoir… Donc ouais, c’est une ambiance spéciale où tout le monde se concurrence finalement. Parce que ce qu’on attend de nous, c’est de chiffrer, pas qu’on s’entende bien entre collègues… ».


Cette détérioration des relations sociales au travail, décrite par ce consultant, expose un climat anxiogène. Dans ces conditions, le collaborateur en période de Bench se retrouve piégé, au sein d’un système sans issue. La « quête de missions » s’avère difficile, face à des collaborateurs anxieux et sceptiques, qui préfèrent "cacher leurs missions", plutôt que de les partager.


La période de Bench devient, donc, une réelle problématique managériale. Tout d’abord, le manager doit confronter diverses attentes, qui sont, parfois, en opposition entre elles. Par exemple, une entreprise, qui prône une culture de la performance, se montre souvent exigeante sur la plus-value des résultats produits, par ses collaborateurs.


Cela dit, les attentes de certains clients ne sont pas toujours source de plus-value directe, pour l'entreprise (e.g. tous les clients ne paient pas comptant). Et par conséquent, les attentes des collaborateurs ne sont pas toujours en harmonie avec celles de l'entreprise et/ou celles des clients. Précisément, le collaborateur en période de Bench a besoin d'être valorisé par son travail et par la place qu'il occupe au sein d'un collectif.


Néanmoins, la culture de performance d'une entreprise et les exigences de ses clients peuvent contribuer à la mise à l'écart des collaborateurs en période d'inter-contrats. Aussi, le manager doit faire des choix, au sein de son équipe, impactant le parcours professionnel d'un collaborateur.


La problématique du Bench laisse le manager, face à un triangle d'intérêts entre l'entreprise, les clients et l'équipe de collaborateurs. Un manager consultant raconte la complexité de prendre des décisions, dans une équipe, touchée par les périodes de Bench, et donc, en tension.


Il explique qu'il est difficile de satisfaire les besoins des collaborateurs; par des contraintes imposées par le business et les clients:

"Bah le client..il choisit plus, il exige quoi... enfin… tu vois, le client, il veut plus payer pour des tas de consultants et même, il nous laisse plus vraiment choisir un consultant; c'est lui qui exige des compétences particulières, qui souhaite un TU à 100%, et souvent un profil expérimenté, et encore il veut avoir un entretien avec le consultant... ce qui est normal oui, mais du coup, forcément que le gars sur le Bench, c'est pas l'prioritaire de la liste du client… et puis t'as le business ouais… Moi, y a trop de personnes dans mon équipe, alors on m'demande de positionner des gens de mon équipe, sur des projets internes au sein de d'autres services… Alors, t'imagines...toi t'es l'manager, t'aimes ton équipe mais tu dois désigner le maillon faible de ton équipe; parce que bien sûr, tu penses stratégie, tu n'vas pas envoyer tes meilleurs éléments à l'autre service, mais tu dois quand même gérer la personne, qui va subir la mobilité… Il suffit que c'est un gars qui a été sur le Bench un p'tit moment, et là tu peux être sûr que ça se termine en arrêt maladie! C'est horrible mais c'est ça tu vois…".


Le collaborateur en période d'inter-contrat est piégé: sa situation apparaît comme une sanction infligée, le poursuivant tout au long de sa carrière. Serait-il maudit? C'est ce que confie un consultant, en période d'inter-contrats, depuis 1 an et demi. Il raconte que "le Bench est un cauchemar qui hante sa vie et qui l'a fini professionnellement". Il explique que les périodes d’inter-contrats sont des « trous noirs » de carrière professionnelle et parallèlement, une "nouvelle manière d'être mis au placard".


Pour lui, on peut intentionnellement écarter certains collaborateurs "gênants" ou "qui ont fait leur temps", en les mettant sur le Bench. Il ajoute, néanmoins, que cette "sanction" n'est pas toujours volontaire de la part de l'employeur, mais qu'elle est toujours vécue comme telle:

"Pour moi, le Bench m'a mis sur le bas côté de l'emploi, c'est comme si je ne savais plus les tendances de mon propre métier, que je ne le connaissais même plus, parce que les compétences sont toujours à côté...et puis, tu ne sais rien...tu ne sais pas ce qu'attendent les clients, parce que tu ne les vois plus; eux ne te voient plus et quand ils voient ton CV, bon bah tu fais flipper, parce que ya écrit "Bench"...et puis oui parce que tu connais pas le dernier logiciel, enfin...c'est un cycle quoi...l'enfer…".


L'analyse démontre donc, en plus d'être très mal vécue, par le collaborateur, la période en inter-contrats ne profite pas au maintien et à l’évolution des compétences, au sein de l’entreprise. Le Bench a plutôt tendance à faire stagner les compétences, voire à les appauvrir et/ou les perdre.


Perte de compétences, au sein de l'entreprise

Stagnation de la compétence

La période de Bench offre du temps disponible à un collaborateur, entre deux missions. Ce temps est théoriquement dédié au "recyclage" des compétences et à la formation. Cependant, cette étude démontre pourtant, que le collaborateur en période d'inter-contrats ne concentre pas ce temps disponible pour le développement de ses compétences.


Sur ce point, un manager consultant regrette le manque d’accompagnement et de soutien des RH, sur ces périodes d’inter-contrats, qui sont parfois très longues. Il explique que les formations, mises à la disposition des collaborateurs, ne sont pas toujours suffisantes ou adaptées. Il critique notamment la "sur-utilisation" des plateformes de formation en ligne. Il explique que celles-ci favorisent un déni de la responsabilité de l'employeur, sur la problématique du Bench, en soumettant l'employé à son "devoir de se former".


Pour lui, ces plateformes ne parviennent ni à motiver les collaborateurs en période de Bench, ni à développer leurs compétences. En effet, pour ce manager, il ne suffit pas seulement de disposer de temps, pour suivre une formation. Il faut surtout être motivé. Ainsi, il partage son interrogation: "comment être motivé à se former, quand on est sans mission et sans perspective sur l'avenir?".


Ce manque de perspective sur l'avenir est, donc, source de démotivation, pour le collaborateur. Par conséquent, la période de Bench représente un risque de désengagement des collaborateurs, pouvant augmenter les départs, générer des situations de crise, ou encore appauvrir les compétences disponibles, au sein de l'entreprise.


Appauvrissement de la compétence

Comme expliqué sur le point "destruction du collectif", le collaborateur en période d'inter-contrats n'est souvent pas choisi en priorité, pour un nouveau contrat client. Souvent, le client attend des compétences spécifiques, dont le "bencheur" ne dispose pas. Aussi, l'image péjorative portée par le Bench, peut freiner le client à sélectionner un collaborateur en période d'inter-contrats. Ce point provoque deux phénomènes d'appauvrissement de la compétence, au sein de l'entreprise: le départ ou la "passivité" du collaborateur.


Cette étude démontre que plus le temps d'attente en période d'inter-contrats est long, plus le collaborateur cherche un emploi, dans une autre entreprise. Le temps disponible du collaborateur est dédié à la recherche de son futur employeur. Ainsi, l'entreprise, sans gestion de ses collaborateurs, en période d'inter-contrats, prend le risque de voir partir des collaborateurs avec de très bonnes compétences.


Enfin, comme explicité au long de cette étude, le collaborateur sur le Bench "qui reste" en entreprise, se retrouve pris dans un piège infernal. La dévalorisation de son travail et celle de sa place au sein du collectif, génère de la passivité. Le collaborateur est persuadé de la fatalité de sa situation et ne trouve pas de sens, aux moyens mis à sa disposition (e.g. formation).


Une urgence à gérer par les Ressources Humaines

Cette étude met, donc, en évidence le rôle essentiel des Ressources Humaines, pour répondre à la problématique de la gestion des collaborateurs, en période d'inter-contrats.


En effet, nous avons pu voir que la non-formalisation d’un dispositif de gestion, pour les collaborateurs en période d’intercontrat, laisse encourir ces risques RH : perte de la compétence, rétention du personnel, gestion de crise, mauvais climat social, gestion de longue maladie, désengagement, mauvaise expérience employée, mauvaise image marque employeur…


Il devient primordial, pour la fonction RH, de traiter la problématique du Bench, dans l’intérêt de ses activités et, plus largement de l’entreprise. Les résultats de cette étude mettent en évidence deux rôles majeurs, que la fonction RH, doit développer, pour construire un dispositif d’accompagnement, pour les collaborateurs en période d’inter-contrats : celui de « partenaire stratégique » et celui d’« acteur du changement » (Ulrich et al., 2012).


Le partenaire stratégique: comprendre les risques des collaborateurs, en période de Bench et agir.

Nombreuses sont les recherches académiques, qui préconisent à la fonction RH « d’être source de valeur ajoutée » et par conséquent, de se concentrer sur des activités plutôt stratégiques qu’opérationnelles. Néanmoins, comment construire une stratégie pertinente, sans considérer les besoins du quotidien des collaborateurs ? La problématique du Bench illustre, très bien, cette limite de la place conférée à la fonction RH, en entreprise. Doit-on laisser les managers gérer les risques du Bench ? Est-ce à la fonction RH de prendre en charge ces risques ?


Les résultats de cette étude orientent donc, la fonction RH vers un rôle de « partenaire stratégique ». C’est-à-dire qu’elle ait la capacité de comprendre les risques encourus par collaborateurs, en période d’inter-contrats, et de mettre en œuvre des actions d’amélioration.


Le premier point est de comprendre ces risques. Il s’agit, ainsi, de construire un tableau de bord, recensant une diversité d’indicateurs. Parmi eux, peuvent se trouver le taux de collaborateurs en période de Bench, la durée de la période de Bench, le taux d’utilisation des collaborateurs, le nombre de formations suivies, le nombre de gestion de crise, le taux de rotation, … La diversité d’informations permet au tableau de bord de proposer des analyses pertinentes, afin de mieux mesurer les coûts et de réduire les risques, liés à la problématique du Bench.


Le second point est d’agir. Les propositions d’actions doivent être adaptées, selon la structure et la culture de chaque entreprise. Néanmoins, l’idée générale de ces actions est de sensibiliser les managers aux coûts, liés aux périodes d’inter-contrats, et de les accompagner vers une meilleure gestion de leurs collaborateurs, touchés par le Bench.


Dans les cas d’une PME ou d’une grande entreprise, on retrouve le poste de « Human Resources Business Partner » [HRBP]. Une nouvelle fois, chaque entreprise définit le cadre du rôle du HRBP, selon sa structure et sa culture. Cela dit, en théorie, les missions du HRBP visent à conseiller les leaders de business units et les managers, sur des points RH ou plus largement, sur leurs décisions. Ainsi, la problématique du Bench apparaît comme du ressort des missions du HRBP.


L'acteur du changement: sensibiliser à la souffrance au travail et revaloriser le Bench.

Malgré les résultats de cette étude, il se pourrait que la fonction RH ne prenne pas en charge la problématique du Bench. Comme décrit plus haut, celle-ci pourrait continuer de considérer que cette responsabilité est du ressort des managers opérationnels et/ou des « resources managers ». Toutefois, cette étude démontre que les RH ne peuvent être aveugles des impacts de la non-gestion des collaborateurs, en période d’inter-contrats.


En effet, l’émergence de cette nouvelle souffrance au travail positionne automatiquement la fonction RH, comme acteur principal d’action et de prévention. Les résultats de cette étude montrent l’urgence de prendre au sérieux la problématique du Bench, au nom de la santé des collaborateurs. Comme nous avons pu le comprendre, le mal-être des collaborateurs sur le Bench provoque, également, une réelle perte de la compétence, au sein de l’entreprise, par le simple fait « de s’être retrouvé sans mission ». 


La fonction RH a, donc, pour devoir de « démystifier le Bench », en prenant son rôle d’« acteur du changement ». Elle doit permettre aux collaborateurs de se sensibiliser à cette nouvelle souffrance au travail, mais également de revaloriser cette période d’inter-contrats, par un renforcement des dispositifs de développement de la compétence.


Tout d’abord, il est nécessaire de sensibiliser à la souffrance au travail, vécue par les collaborateurs, en période d'inter-contrats. Cette sensibilisation peut prendre différentes formes: constitution de groupes de réflexion ("focus group"), session d'informations, session de formation, mise en œuvre d'enquête terrain par l'analyse de questionnaire et/ou d'entretiens… sur différents sujets: la souffrance au travail, l'épuisement professionnel (e.g. bore-out et brown-out), les préjugés liés du Bench, l'exclusion des collaborateurs en période de Bench, les comportements à adopter face à un collaborateur, en période de Bench, la gestion du temps en période d'inter-contrats,...


Il est conseillé de combiner différentes initiatives: les objectifs de cette sensibilisation sont de participer à une prise de conscience générale des risques, liés au Bench, et de développer des actions utiles et, au plus près du besoin du collaborateur. Il est important de construire cette sensibilisation, selon le contexte de l'entreprise.


C'est pourquoi la fonction RH a un rôle déterminant: elle seule peut gérer la mise en œuvre de ce projet de qualité de vie au travail, en assurant la coordination de différents acteurs - en interne (e.g. médecine du travail, HRBP, formation, recrutement, managers opérationnels, employés…) et en externe (e.g. cabinet d'études, cabinet de conseil et de formation,...).


Ce travail de sensibilisation orientera l'entreprise à suivre certaines pistes d'actions, pour revaloriser la période d'inter-contrats. Il est essentiel de renforcer le dispositif de développement des compétences. Les résultats de cette étude font état d'un besoin d'accompagnement à la formation et de "guide" vers les perspectives professionnelles. En effet, il est important que les dispositifs de formation soient "au plus proche des demandes des clients" et donc, régulièrement adaptés aux tendances du marché.


De plus, ces dispositifs doivent s'inscrire, au sein d'un cadre élargi de "perspectives professionnelles". Même s'il devient complexe de "promettre" l'arrivée de nouvelles missions à un collaborateur, il est essentiel de lui offrir "un panel de possibilités". Ce "panel de possibilités" permettrait, au collaborateur, d'être toujours acteur de sa carrière. Enfin, les dispositifs de formation doivent être associés à des initiatives de "développement de réseau". Autrement dit, il est important que les collaborateurs, en période d'inter-contrats, soient toujours en contact avec d'autres collaborateurs, en contrat avec le client, et aussi avec des clients.


Le Bench... Une limite à la flexibilité des travailleurs?

Cette étude, sur la problématique du Bench, expose une certaine limite à la flexibilité du travail. En effet, la flexibilité du travail suppose que des missions sont disponibles, pour le collaborateur. Il s'avère, pourtant, que les périodes d'inter-contrats se multiplient et s'allongent, en entreprise. Est-ce que la flexibilité du travail génère une forme d'inégalité entre collaborateurs ? Est-ce que la flexibilité du travail peut menacer le collectif d'une entreprise?...jusqu'à sa viabilité économique?


Ce phénomène du "salarié sans mission" laisse à penser qu'une délégation totale de la responsabilité, au collaborateur, du développement de ses compétences, ne permet pas d'être plus productif, ni de réduire les coûts, en entreprise. Au contraire, cette responsabilité génère de nouveaux risques, difficilement gérables sur le long terme. En effet, les résultats de cette étude exposent la complexité des impacts de la non-gestion des collaborateurs, en période d'inter-contrats.


Cette complexité s'explique par la multiplication des intérêts en jeu: le collectif d'entreprise étant menacé par le Bench, chaque collaborateur attend une considération individuelle de son cas. Autrement dit, cette diversité d'intérêts implique une lourde gestion de crise sociale, qui peut s'avérer très coûteuse. Ainsi, avant de souhaiter "flexibiliser" son organisation, tout employeur devrait assurer l'emploi de ses collaborateurs, notamment en mettant en valeur le travailleur...


Sources

Artus, P., & Virard, M. P. (2018). Et si les salariés se révoltaient?. Fayard.

d’Iribarne, P. (2001). Le mythe de la fin du travail. Revue du MAUSS, no 18(2), 92-93. doi:10.3917/rdm.018.0092.

Dasgupta, B. (25 octobre 2015). 5 ways to be productive ‘On The Bench'. The Economics Times. (Consulté le 05.04.2019). https://economictimes.indiatimes.com/jobs/5-waysto-be-productive-on-the-bench/articleshow/55039875.cms?from=mdr

Healthcare IS. (21 juillet 2015). Healthcare Consulting: What Does 'Bench Time' Mean? (Consulté le 05.04.2019). https://www.healthcareis.com/blog/healthcare-consultingwhat-does-bench-time-mean

Hosy, D. & Bourion, C. (2017). Du burn-out au bore-out : vers l’emploi qui rend heureux: En France la découverte du bore-out est révélée par RIPCO en 2011. Diffusée par plus de 111 journalistes et 204 media, elle induit le standard du travail qui rend heureux : un emploi « plein » en activité où le salarié peut montrer de quoi il est capable. Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels, hs(Supplement), 229-296. https://www.cairn.info/revue-internationale-depsychosociologie-de-gestion-des-comportements-organisationnels-2017-Supplementpage-229.htm.

IT nation. (17 juillet 2019). Proximité et suivi, les clés d’une gestion RH réussie. (Consulté le 13.09.2019). https://www.itnation.lu/proximite-et-suivi-les-cles-dune-gestion-rhreussie/

Martin, R. (1983). De la double «extensité» du partitif. Langue française, (57), 34-42.

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