#Balancetonstage : La leçon des stagiaires
Dernière mise à jour : 22 déc. 2020
C’est le nouvel hashtag de la rentrée. Des internautes partagent leurs mauvaises expériences professionnelles : harcèlement, critiques, bizutages, moqueries, malveillance, ignorance, désintérêt… Tant de comportements inappropriés, manifestés par leurs collègues de travail ou par leur hiérarchie. Comment expliquer ces actes subis, par les stagiaires ? Et si les stagiaires avaient quelque chose à nous apprendre ?
Des preuves à faire
« Oh, il me faudrait un stagiaire, pour toutes ces petites choses-là chiantes, que je fais, qui me prennent un temps fou… », me disait une ancienne collègue de stage. Je me souviens m’être demandé : « Aurait-elle oublié que je suis stagiaire, ici ? », puis : « Est-ce si dévalorisant « d’être stagiaire » ? ».
Du latin médiéval « stagium », le stage est un « séjour »*, exigé à un candidat, pour justifier de sa capacité à exercer un métier et de sa légitimité à bénéficier de certaines reconnaissances. Historiquement, donc, le stagiaire doit « faire ses preuves », pour être considéré comme un membre fiable du groupe.
Pour cela, il passe différentes « épreuves » : celles liées à l’exercice du métier et celles liées à son intégration au groupe. De quoi le stagiaire est-il capable ? A-t-il les compétences nécessaires pour faire ce métier ? Le responsable hiérarchique et l’équipe, travaillant avec le stagiaire, jugent de la performance de celui-ci. A-t-il respecté les consignes qui lui ont été donné ? A-t-il obtenu des résultats favorables ?
Le jugement de la fiabilité du stagiaire ne s’arrête pas, aux compétences du métier. Son attitude et ses comportements sont, minutieusement, observés et analysés, par son responsable hiérarchique et par son équipe. Parle-t-il le bon jargon ? Respecte-t-il les règles ? Respecte-t-il la hiérarchie ? Le stagiaire fait face à une forte pression du groupe. Pour être accepté, il doit répondre aux attentes, de ce dernier. Le stagiaire doit réussir ces épreuves, pour que le groupe lui fasse confiance.
Le stagiaire souffre, souvent, de la mauvaise réputation liée à l’apprentissage. Celui-ci se base, la plupart du temps, sur un rapport de supériorité et d’infériorité, entre « ceux qui savent » et « ceux qui ne savent pas ». Le stagiaire, qui arrive en entreprise, semble donc par avance condamné, par les préjugés de son statut.
Le mauvais rôle
« Celui qui ne sait pas », est par définition, celui qui risque de faire des erreurs, et par conséquent générer des échecs. Ces préjugés font du stagiaire un élément perturbateur, qui prend du temps et qu’il faut surveiller. Par cette perception de « dépendance aux autres », le stagiaire est souvent jugé comme une personne moins importante que les autres membres d’une équipe. Cette dévalorisation est aussi liée à la menace que représente le stagiaire. Cet « élément extérieur » pourrait déséquilibrer l’harmonie et la cohésion présente, au sein d’un groupe.
Ainsi, les comportements inappropriés sont une façon de rappeler au stagiaire, « la place » qu’il a, au sein du groupe. Il est si facile de faire des réflexions à un stagiaire, qui à « tout à prouver ». Cet exercice de toute-puissance sur le stagiaire, limite inévitablement le développement et la performance de celui-ci. Dévalorisé et dévalorisant, être stagiaire peut être un fardeau à porter.
Pourtant, n’est-ce pas les stages qui permettent aux métiers de perdurer ? N’est-ce pas par les stages que les entreprises continuent de se développer ? De plus en plus de stagiaires arrivent en entreprise avec des connaissances académiques et parfois des expériences professionnelles très pertinentes. N’y a-t-il pas urgence de changer notre regard sur l’apprentissage et sur la condition du stagiaire ? Si l’on est capable de se moquer du stagiaire, c’est que la culture organisationnelle le permet…
Le mouvement #balancetonstage doit alarmer les entreprises, sur la nécessité de travailler sur la notion de "toxicité". Les mauvaises expériences et relations de travail sont rarement subies, par une seule personne. Si nous n’apprenons pas à nos salariés à se sortir de ces situations, les schémas se répèteront. Pire, les « problèmes » s’accumuleront ; ils se transformeront ; ils « contamineront » d’autres personnes, d’autres services, à d’autres niveaux. Derrière les témoignages de mauvaises expériences de stages, peuvent se cacher des maux managériaux ou des défaillances organisationnelles liées à la structure ou à la culture, d’une entreprise.
Réfléchir sur la toxicité, c'est permettre, à ses salariés, de pouvoir agir sur leurs expériences au travail. C'est investir pour l'avenir.
* Définition « stage » par le Larousse en ligne : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/stage/74421 (consulté de 11.09.2020)